Appel à contribution – Jouer au Moyen Âge. Sociétés, pratiques et représentations. Journées d’études doctorales du CIHAM

Date limite pour l’envoi des propositions : 25 avril 2025

Le verbe « jouer » renvoie à la fois au divertissement (jouer à un jeu), à la performance (jouer un rôle) et à la ruse (se jouer de quelqu’un)[1]. Comment jouait-on au Moyen Âge ? Quelle était la place du jeu dans la société médiévale ?

L’ambition de ces journées d’étude est de proposer une réflexion sur les sociétés médiévales, leurs pratiques et représentations, à travers l’action et le rythme qu’implique le verbe « jouer ». En choisissant le verbe « jouer » au lieu du substantif « jeu », nous invitons à penser les pratiques ludiques au sens large et à réfléchir à un continuum qui va des notions de divertissement et de spectacle aux enjeux sociaux et politiques du jeu médiéval. Nous entendons par le terme pratiques l’idée d’une action, d’une activité exercée par un ou plusieurs individus. Ainsi, seront compris à la fois les jeux dits de tables (jeux de dés, d’échecs, de cartes), les jouets, les jeux de la pensée (jeux des rois et des reines ou de Saint Coisne[2], jeux littéraires tels que les énigmes, rébus ou jeux de mots) ou encore les jeux sportifs et militaires (jeux de balle, de lancer, joutes et tournois). Par ailleurs, les théoriciens du jeu s’accordent sur la dimension sociale du jeu et rappellent que « jouer » est une manière de se présenter, de se montrer aux autres[3]. Nous voulons donc interroger aussi les festivités, spectacles, représentations théâtrales et autres divertissements de l’ordre des représentations. Le jeu est ainsi imaginé, vécu et raconté par les contemporains, à travers la littérature, la musique ou l’iconographie. Toutes ces activités, tantôt quotidiennes, tantôt exceptionnelles, tantôt privées, tantôt publiques, disent beaucoup de la manière de vivre des sociétés médiévales. En effet, autour des jeux, se cristallisent des enjeux de pouvoir, de contrôle, de savoir-faire mais également d’appartenance à un groupe. 

La recherche sur le jeu est dynamique ces dernières années : on citera, en littérature, le dernier numéro de la revue Bien Dire et Bien Aprandre[4], la thèse de Maxime Kamin[5], soutenue en 2023, ou encore le numéro de la revue Questes[6]. Notons aussi que le thème du jeu fait l’objet d’un groupement d’intérêt scientifique, « Jeux et Sociétés[7] », créé en 2013. Malgré ces études récentes, la notion de « jouer » au Moyen Âge reste peu abordée d’une manière générale, notamment dans le champ de l’histoire[8]. Si une journée d’étude a été organisée à Lyon 3 par l’IHRIM en 2023, seules deux communications portaient sur le Moyen Âge. Enfin, une revue, Sciences du jeu, s’intéresse également au jeu mais sans borne chronologique. Ces travaux dispersés appellent à l’interdisciplinarité et à réinterroger nos corpus sous ce prisme-là.

Nous avons retenu plusieurs axes pour interroger ce sujet comme le cadre spatio-temporel, la réglementation du jeu, mais également la notion de jeu social et politique, sans oublier les festivités et la performance. « Jouer au Moyen Âge » n’est a priori pas une thématique qui apparaît de manière évidente dans les sources. Les divertissements peuvent être analysés grâce à l’archéologie, les catalogues d’expositions et des réserves de musées, en mettant en lumière une histoire matérielle des objets et espaces dédiés. Les analyses plastiques des pièces de jeux ou images représentant un divertissement permettraient également de mieux retracer, grâce à l’histoire de l’art, les représentations sur les distractions au Moyen Âge. Les manuscrits enluminés, permettant d’interroger le rapport texte et image, feront également l’objet d’une attention particulière. Les sources littéraires, comme les traités, peuvent révéler de précieux témoignages sur les divertissements, les manières de pratiquer et de percevoir les jeux ainsi que leur réception au Moyen Âge. Enfin, si les archives peuvent paraître plus silencieuses, certains types de sources s’avèrent intéressantes pour analyser les pratiques individuelles et collectives comme l’organisation des festivités (sources comptables) ou la réglementation du jeu (archives judiciaires).

Axes

Espaces et temps du jeu

Loin d’être uniquement marquée par le labeur et les obligations religieuses, la société médiévale profite aussi de moments de répit et d’évasion, qu’ils soient privés ou publics, aristocratiques ou populaires. Avait-on le temps de jouer ? Le rythme des heures et des saisons permettait-il de laisser suffisamment de temps pour jouer ? Quelle place occupe le calendrier liturgique pour les Médiévaux : était-il un prétexte pour jouer ou bien justement, s’agissait-il de s’en affranchir pour mieux s’amuser ? Ces différentes temporalités du jeu s’inscrivent dans des espaces variés qu’il conviendra de mettre en valeur (jardins, forêts, mers, villes, foyers, châteaux, espaces publics, etc.). Cet axe propose ainsi de mettre en lumière le cadre spatio-temporel du jeu et d’en déceler les significations sociales et culturelles. La diversité de ces espaces et de ces temps reflète ainsi la multitude des actions du jeu dans la société médiévale.

Jeux sociaux et politiques

Les jeux et loisirs au Moyen Âge traduisent ces différentes temporalités qui rythment la vie des individus de l’enfance à la vieillesse. Jouait-on aux mêmes jeux dans l’enfance et dans sa vie d’adulte ? On sait que le jeu pouvait avoir une place dans l’éducation des enfants notamment au travers de jeux d’imitations (jouer à la poupée) ou de développement de savoir-faire (comme les échecs, utilisés dans l’éducation des princes). Le jeu comporte une dimension sociale : on ne joue pas de la même manière et aux mêmes jeux selon son statut mais aussi selon son genre. Finalement, on peut se demander comment le jeu peut participer à la définition de l’identité. Par ailleurs, les historiens ont bien montré le caractère subversif, voire transgressif, de certains jeux ou fêtes. Comment les pratiques ludiques pouvaient-elles marquer l’appartenance des joueurs à un groupe social[9] ? Nous proposons de réfléchir au rôle social du jeu au Moyen Âge et ce qu’il révèle des pratiques et représentations.

Les tournois, joutes, pas d’armes et autres représentations militaires apparaissent comme des mises en scène des compétences et de la puissance des joueurs. Souvent accompagnés de festivités, ces jeux permettent aux élites d’affirmer leur grandeur afin d’augmenter leur influence. Les jeux d’alliances sont également des pratiques illustrant une forme de jeu politique. Dans quelle mesure les élites utilisaient-elles la ruse, en menant un double jeu (dans les pourparlers de mariages, les négociations diplomatiques ou à travers les réseaux d’espionnage) ? Quels sont les acteurs de ces jeux politiques ? Sont-ils réservés aux princes et aux élites aristocratiques (laïques ou ecclésiastiques) ou les nouvelles élites urbaines peuvent-elles aussi y avoir une place ?

Les règles du jeu

Il n’y a pas de jeu sans règle pour le définir. Les règles constituent la base du jeu, de l’activité ludique et récréative. Elles représentent les indications et les restrictions créées en fonction du moment ludique, un système partagé volontairement par chaque personne qui y participe. Mais elles ne se limitent pas à cela. La notion de règles convoque également les idées de régulation et de réglementation. En effet, le jeu au Moyen Âge n’est pas tant une affaire privée qu’une affaire publique, il devient une occasion de rencontres sociales et d’échanges, parfois monétaires. C’est pourquoi les institutions, laïques et religieuses, cherchent à contrôler ces jeux (jeux de hasard, mais aussi tournois et autres compétitions violentes, ainsi que les battagliole…) afin qu’ils aient lieu à certains endroits préétablis et certains moment précis, avec un déroulement convenu par avance. Nous souhaitons comprendre dans quelle mesure la sphère du jeu et des loisirs est publiquement soumise à une organisation sociale liée au contrôle institutionnel de la vie publique. En somme, comment les règles sont-elles appliquées ? Quelles sont les restrictions appliquées au jeu ? Est-il possible de définir un bon et un mauvais « jeu » ? Il s’agit d’étudier par quelles modalités la sphère ludique a la possibilité d’apparaître dans la vie sociale du Moyen Âge et comment les institutions entendaient gérer ces pulsions ludiques que la société a, semble-t-il, toujours comportées. Enfin, on ne peut ignorer que les règles, en tant que forme, ne touchent pas seulement la sphère du jeu physique et matériel, mais sont à la base de la production théâtrale et littéraire (les règles de l’amour courtois, les formes des lais, de la poésie ; les topoï littéraires qui sont presque une forme de règles pour les types de littérature médiévale). On pourra interroger la manière dont les institutions, mais surtout la société, ont répondu à ces différentes articulations du « jeu » (qu’il soit ludique, social, théâtral ou militaire) et quelles règles ont été acceptées, rejetées ou transformées selon les goûts, les coutumes et les désirs du temps.

Spectacle, performance, théâtralité

Le verbe « jouer » renvoie à la notion de spectacle et de mise en scène. Le théâtre peut ainsi être considéré comme un jeu, non seulement par sa dimension ludique, mais parce qu’il constitue un spectacle, et ce d’autant plus que le ludus Christi, drame liturgique, constitue la matrice du théâtre médiéval. Nous proposons d’interroger toutes les pratiques invitant à jouer un rôle ou impliquant une performance devant un public – musique, théâtre, danse, éloquence, etc. – sous un prisme littéraire, linguistique, matériel ou socio-culturel. Nous invitons ainsi à penser le spectacle et la mise en scène dans tous les domaines possibles, sans se limiter à une perspective théâtrale : quels rôles joue-t-on au Moyen Âge et quelle est la place du spectacle ou de la mise en scène dans la vie privée, publique, politique ou religieuse ?

La notion de représentation invite à considérer les rapports entre les différents intervenants. Le spectacle est parfois permis par l’élaboration de décorations qui constituent une piste intéressante pour notre étude. Ces arts éphémères sont conçus par les artistes et artisans pour être perçus et reçus par tous, dans une certaine effervescence culturelle et sociale. Nous invitons donc à une réflexion autour de l’histoire des images dans la mesure où ces décors construits et figurés participent aux représentations et pratiques des divertissements.

Le rapport au public fera l’objet d’une attention particulière : de qui est-il composé et quel est son rôle propre dans le spectacle ? Comment cela conditionne-il l’écriture médiévale ? Comment cherche-t-on à le faire adhérer au propos ou à susciter chez lui des émotions ? Penser cette interaction permettrait par exemple de réfléchir à la nature des émotions, à leur place et aux moyens de les provoquer.

Enfin, penser le spectacle au Moyen Âge invite à réfléchir à la notion de rôle en étudiant par exemple des rôles-types, voire des stéréotypes. Quels sont les masques portés par qui, comment sont-ils composés et dans quelles sphères les porte-t-on ?

Axe complémentaire : jouer avec le Moyen Âge

Nous proposons pour finir de réfléchir aux pratiques ludiques postérieures qui mobilisent des représentations médiévales. Ces pratiques peuvent relever du jeu (jeux de rôles, jeux de plateau, jeux vidéo, livres-jeux, etc.), de pratiques de reconstitutions diverses et variées voire de sports ou de spectacles. Sur quels éléments du folklore médiéval la dimension ludique repose-t-elle ? Quel public ces pratiques ludiques trouvent-elles ? Peut-on rattacher la dimension ludique à la recherche d’une « réalité » historique ? Cette dimension ludique donne-t-elle envie au public de s’intéresser à l’histoire médiévale ou au contraire est-elle vectrice d’idées reçues ?

Notre réflexion peut être élargie au champ didactique, en interrogeant la possibilité d’un enseignement du Moyen Âge par le jeu. Face aux difficultés que pose l’enseignement de la période, de l’écart temporel à l’écart linguistique et social, quelles perspectives sont offertes par le jeu ?

Les travaux du CIHAM concernent en premier lieu les mondes chrétiens et musulmans, mais les propositions portant sur d’autres espaces géographiques seront appréciées. Toutes les études liées à l’histoire, à l’archéologie, à la littérature, aux humanités numériques ou à la linguistique seront étudiées avec le plus grand intérêt.

Les Journées d’Études Doctorales du CIHAM se dérouleront sur deux jours le jeudi 23 et vendredi 24 octobre 2025 à Lyon. Ces journées pourront donner lieu à publication. Les participant.e.s sont aimablement prié.e.s de solliciter leurs laboratoires pour les frais de déplacement et/ou d’hébergement à engager.

Les propositions de communication, de 500 mots maximum (résumé et titre de la présentation), accompagnées de renseignements pratiques (statut, situation institutionnelle, domaine de recherche) sont à envoyer au format PDF avant le 25 avril 2025 à l’adresse suivante : cihamjournees@gmail.com.

Comité d’organisation : Giovanni Adriano Avalle Tortolone, Roxane Bougrelle, Noémie Lacroix, Mallaury Roussilliat, Florencia Vieira Ferrero.

Comité scientifique : Olivier Brisville-Fertin (ENS de Lyon), Sophie Gilotte (CNRS), Charlotte Guiot (Lyon 2), Didier Méhu (Lyon 2), Marie-Céline Isaïa (Lyon 3).

Source : Fabula

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Réseau des médiévistes belges de langue française
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