Appel à contribution – Mettre en scène(s) l’Apocalypse : bilans et nouvelles perspectives de recherche sur les tapisseries médiévales à partir du cas de la tenture d’Angers (v. 1380)

Org. Gaelle Bosseman (Université Rennes 2, Tempora)
Isabelle Mathieu (Université d’Angers, Temos)

La tapisserie conservée au Château d’Angers est la plus ancienne et la plus grande tapisserie historiée conservée au monde. Cette œuvre monumentale illustre le dernier livre de la Bible, l’Apocalypse, un livre dont les lectures et les usages ont été pluriels au Moyen Âge. De fait, loin des grands mouvements de peurs populaires auxquels elle a pu être associée dans l’historiographie, l’Apocalypse nourrit, au Moyen Âge, des productions écrites et iconographiques érudites, émanant de milieux savants.

Achevée vers 1380/82, en pleine guerre de Cent Ans, la tapisserie affirme sans nul doute les prétentions politiques et idéologiques de son commanditaire, Louis Ier d’Anjou (1339-1384) : deuxième fils du roi de France Jean II le Bon, frère du roi Charles V (1338-1380), Louis Ier obtient le titre de régent du royaume en 1380 et devient roi Naples, Sicile et Jérusalem en 1382. En choisissant de faire représenter l’Apocalypse sur une œuvre monumentale à plus d’un titre, Louis d’Anjou mêle étroitement démonstration de piété et vision du pouvoir : depuis l’Antiquité tardive, le livre est un support pour faire réfléchir les souverains sur leur responsabilité dans l’accession au salut du peuple dont ils ont la charge.

Probablement destinée à être exposée lors de cérémonies publiques, bien que les circonstances exactes de cette exposition restent incertaines (cathédrale ? autres lieux ?), la tapisserie pourrait avoir constitué un « un véritable théâtre médiéval » (L. Hablot, EPHE) : disposées en plein air, ses pièces pourraient avoir été présentées sur des estrades éphémères, et animées par un lecteur qui en déclamait le texte faisant ainsi vivre les scènes de l’Apocalypse. En utilisant les différentes pièces comme des cloisons mobiles, accompagnées de musiciens (A-Z. Rillon-Marne et N. Le Luel, Univ. Catholique de l’Ouest), la tapisserie pourrait encore avoir servi de support à une déambulation propice à la méditation. D’autres tapisseries comme celles de la Chaise-Dieu pourraient avoir été exposées d’une manière comparable.

En réunissant des spécialistes de différents champs de la recherche, ce colloque transdisciplinaire a pour objectif de mieux comprendre la manière dont les tapisseries médiévales ont été perçues et utilisées au Moyen Âge afin de faire résonner le message dont elles sont les supports. À cet égard, toutes les propositions de comparaisons sont bienvenues.

Nous proposons à cet effet quelques pistes d’interrogation, sans exhaustivité :

  • Une approche politique, institutionnelle et dynastique de la commande : à l’image de son père Jean le Bon et de ses frères, Louis Ier d’Anjou a utilisé la création artistique et le mécénat comme des outils de pouvoir : le château de Saumur, la tapisserie de l’Apocalypse ou quelques pièces de son imposante collection d’orfèvrerie donnent la mesure du cadre dans lequel évoluait ce prince. Dans les années 1360, Louis Ier d’Anjou possédait déjà plus de 70 tapisseries, collection qu’il a très certainement continué à enrichir jusqu’à envisager dans les années 1380 ce projet fou d’un « beau tapis » de 850 m2 qui viendrait mettre en images le livre de l’Apocalypse alors que jusque-là les thèmes retenus étaient éclectiques et pas systématiquement religieux (histoire, mythologie, fabliaux, romans héroïques…). À sa suite, ses frères Philippe de Bourgogne et Jean de Berry en auraient également commandé une, de taille plus modeste. Concurrence, jalousie, simple émulation ? La démesure de telles pièces ne doit rien au hasard. Pour ces grands seigneurs, comment l’art au sens très large du terme s’articule-t-il, nourrit-il, soutient-il les ambitions/projets/desseins politiques ? Comment opèrent-ils leurs choix en la matière ? Comparativement à ses frères, Louis Ier d’Anjou n’a pas fait l’objet de travaux de synthèse et encore moins d’une biographie ; cette remise en perspective globale pourrait contribuer à combler des pans de ce vide historiographique.
  • Une approche artistique : certaines des sources probables d’inspiration de l’artiste, Jean de Bruges, un peintre flamand, ont été identifiées ; parmi elles figurerait le manuscrit Paris, BnF français 403, une des Apocalypses anglo-normandes, œuvre commandée vers 1250 par Charles V, le frère de Louis d’Anjou, ou encore le Cambrai (BM, 0422 (0397 bis)). Pour autant la question du ou des « modèle(s) » de la tapisserie reste une question débattue. Les comparaisons avec d’autres types d’œuvres en amont ou en aval – théâtre liturgique, les compositions architecturales, les pièces musicales – auront pour but de décentrer le regard des Apocalypses enluminées pour mieux réfléchir sur la place de la tapisserie dans la création artistique de la fin du Moyen Âge. Il sera notamment envisagé si le choix du support de la tapisserie entre en rupture ou marque au contraire une forme de continuité avec les précédentes productions iconographiques consacrées à l’Apocalypse.
  • Une approche littéraire, liturgique et exégétique de l’œuvre : quelle est la part de la tradition exégétique dans la tapisserie ? Les Apocalypses enluminées et les commentaires enluminés médiévaux montrent que l’intégration du discours exégétique dans les images par les artistes était courante. Qu’en est-il pour la tapisserie ? D’autres sources textuelles ont-elles inspiré Jean de Bruges ? L’Apocalypse était lue au Moyen Âge comme une révélation sur l’histoire de l’Église au double sens d’institution ecclésiale et de communauté des fidèles et comme une invitation à faire pénitence sans attendre. Ces différentes dimensions apparaissent-elles dans la tapisserie ? Quels liens établir entre la tapisserie et les célébrations liturgiques mobilisant le livre de l’Apocalypse à la fin du Moyen Âge ?
  • Une approche matérielle : si différentes hypothèses ont pu être proposées concernant les lieux d’exposition de la tapisserie et la manière dont elle a pu être exposée, les études des techniques, méthodes de tissage et matériaux de la tapisserie réalisées à l’occasion de son classement récent à l’UNESCO et de la redécouverte de fragments en 2020 lors des confinements permettent d’examiner à nouveaux frais la question de ses utilisations et de son déploiement. En confrontant ces éléments aux sources littéraires et documentaires décrivant l’exposition des tapisseries ou aux représentations architecturées de la fin du Moyen Âge, nous souhaiterions ouvrir une discussion collective sur les différents contextes d’utilisation possibles de la tapisserie et donc sur la plasticité de ses lectures et usages.

Les propositions (titre, résumé de 10/15 lignes) devront être adressées à Gaelle Bosseman

(gaelle.bosseman@univ-rennes2.fr) et/ou à Isabelle Mathieu (isabelle.mathieu@univ-angers.fr) avant le 15 avril 2026.

Les communications de 20 minutes pourront être présentées en français ou en anglais avec une possibilité de participer en hybride.

Nous vous remercions de nous indiquer, le cas échéant, si vous pouvez bénéficier d’une aide de votre laboratoire pour participer à cette journée.

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Réseau des médiévistes belges de langue française
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