Appel à contribution – Au-delà de la mimesis : représenter l’invisible au Moyen Âge

Dix-septièmes rencontres GRIM-Imago
Jeudi 28 mai 2026
Institut national d’histoire de l’art
Appel à communication

Le GRIM – Groupe de Recherches en iconographie médiévale – est un collectif académique, fondé par Christian Heck, s’intéressant à l’analyse et l’interprétation des œuvres du Moyen Âge, mais aussi aux corpus et bases d’images qui les rendent possibles. Il est dorénavant lié à IMAGO, association d’historiens de l’art sise au CESCM de Poitiers, et porté par un comité scientifique (Mathieu Beaud, MCF, Université de Lille/IRHiS ; Bertrand Cosnet, MCF, Université de Lille/IRHiS ; Charlotte Denoël, Conservatrice en chef, BnF, département des manuscrits/Centre Jean Mabillon ; Anne-Orange Poilpré, PR, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/HiCSA ; Cécile Voyer, PR, Université de Poitiers/CESCM ; Ambre Vilain, MCF, Université de Nantes/LARA).

Le GRIM organise des conférences ponctuelles (Les rencontres Imago, au CESCM de Poitiers) et des journées d’études (à l’Institut national d’histoire de l’art, à Paris), ouvertes à toutes et tous.

Une place privilégiée est accordée aux interventions des jeunes chercheuses et chercheurs (dès le Master 2).

Les communications durent 20 mn. Elles sont dédiées aux questions de méthodologie et d’historiographie et non à la présentation générale des fruits d’une recherche. Elles éviteront les longues descriptions énumératives, pour se concentrer sur des dossiers précis, et s’attacheront à en expliciter les cadres théoriques.

Faut-il nécessairement figurer pour produire du sens au Moyen Âge ? Si l’image narrative occupe une place centrale dans l’art de cette période, les stratégies visuelles sont en réalité beaucoup plus diverses et recourent souvent à des procédés permettant la représentation d’une idée par une forme non mimétique. Le caractère fondamentalement imparfait de la figuration dans le contexte d’un monothéisme révélé (Christianisme, Judaïsme, Islam) engage par lui-même une interrogation sur la façon d’évoquer par l’image le monde créé et le spirituel. Dans la culture chrétienne, où la représentation de Dieu et des histoires sacrées est centrale, la géométrie et les assemblages chromatiques permettent de renvoyer à des concepts, des états ou des réalités spirituelles, permettant une visio intellectualis du Verbe divin. Cette dialectique de la forme à l’esprit se construit par un cheminement de la vision sensible à la contemplation spirituelle, témoignant de l’existence d’une pensée visuelle passant par la forme non narrative.

Refuser de figurer la Création pour des raisons théologiques stimule certaines démarches artistiques. Pensons à la place privilégiée donnée à l’ornement et au signe graphique dans l’art islamique. Là, le décor végétal, l’arabesque ainsi que l’utilisation de formes géométriques et de champs chromatiques, convoquent des réalités conceptuelles ou spirituelles considérées comme irreprésentables et ne pouvant donc être restituées par l’imitation du monde naturel ou de la figure humaine. Pour le monde juif, des jeux de formes communiquent du sens et renvoient à une abstraction conceptuelle : celle de la perfection de Torah, par exemple, ou celle d’une substance supranaturelle. Il s’agit d’un geste artistique permettant de rendre présent ce qui ne peut être visualisé.

Depuis les travaux pionniers d’Oleg Grabar sur l’art islamique (The Mediation of Ornament, 1992, trad. L’ornement : formes et fonctions dans l’art islamique, 1996), l’ornement médiéval a retrouvé sa signification entière, débarrassé d’une approche réduite à des considérations strictement stylistiques ou formalistes. Plus récemment, Gülru Necipoğlu a abordé ces questions selon une perspective globale (G. Necipoğlu, A. Payne éd., Histories of Ornament : From Global to local, 2016). Pour l’occident carolingien, Jean-Claude Bonne (« Les ornements de l’histoire », Annales ESC, 51, 1, 1996, p. 37-71) a réévalué la fonction de ce qu’il nomme l’ornemental comme opérateur d’une pensée de l’ordre, élucidant les rapports entre les parties d’une image et permettant un fonctionnement harmonieux, suivant la définition de l’ornatus par Isidore de Séville. L’ornement apparaît désormais comme une composante essentielle de la spiritualité médiévale, qui remplit des fonctions précises et participe d’une forme de théologie visuelle (É. Palazzo, Broder la splendeur : la théologie chrétienne de l’ornement dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge, 2024).

L’historiographie a récemment interrogé ces modalités du discours visuel, en particulier Elina Gertsman qui, dans des travaux récents (Gertsman (éd)., Abstraction in Medieval Art : Beyond the Ornament, 2021), analyse ce qu’implique le fait de suspendre la figuration et la façon dont le sens se recompose en dehors de ce périmètre. L’ouvrage co-écrit avec Vincent Debiais (L’hypothèse abstraite. Ecart, excès d’image au Moyen âge, 2025) saisit la tension entre mimesis et abstraction – abstractio – pour définir une catégorie singulière de la pensée judéo-chrétienne de l’image médiévale. Figuration et non-figuration fonctionnent ensemble de manière dynamique pour composer un langage visuel permettant de mieux accéder à l’idée de Dieu. Pour le monde islamique, Finbarr Barry Flood (« Islam and Image. Paradoxical Histories », 2022 ; « Sign of silence. Epigraphic Erasure and the Image of the Word », 2019) apporte les principaux éléments d’une réflexion sur le décor et la représentation dans un cadre normatif qui exclut la figuration, mais où de nombreuses exceptions, en marge des lieux de culte, témoignent d’un intérêt pour l’image, d’une interrogation sans cesse posée sur ce qui relève ou non de l’idolâtrie. Avinoam Shalem (Gazing Otherwise: Modalities of Seeing in the Medieval Islamic Cultures, O. Bush, A. Shalem éd., 2015), dont le travail porte sur les interactions entre Islam et christianisme, s’attache également à interroger les modalités du visuel et du regard à la convergence de ces mondes.

Enfin, de remarquables initiatives muséographiques ont également exploré les passerelles possibles entre des expérimentations contemporaines tenant de l’abstraction et les approches médiévales de l’image et du signe. L’exposition Make it New. Conversation avec l’art médiéval (Ch. Denoël, J. Dibbets et E. Verhagen, BnF, 2018) mettait en dialogue les pages enluminées du In laudibus sanctae crucis de Raban Maur avec des installations et œuvres d’artistes vivants. L’ouvrage collectif du même titre prolonge cette enquête (L’art médiéval est-il contemporain ? Is Medieval Art Contemporary ?, 2022). En 2019 et 2020 à Poitiers, l’exposition L’art médiéval est-il contemporain ? Acte IV, organisée par Cécile Voyer, à partir de manuscrits médiévaux enluminés abordait cette mise en regard avec l’art d’aujourd’hui, autour de thématiques telles que la puissance du signe, la rhétorique de la couleur, la matérialité, la performance.

Comment l’art médiéval, à travers tous ses horizons culturels et religieux, a-t-il produit des formes qui s’émancipent de la narration et de la ressemblance sans renoncer à la signification ? La compréhension de ces formes, comme celle des ornements et de la couleur, peut-elle s’appuyer sur les méthodologies traditionnelles de l’étude iconographique ? Ne faut-il pas plutôt réconcilier l’abstrait et le figuratif, la forme et la figure ? Les dispositifs géométriques, chromatiques ou scripturaux, tout comme certaines formes de stylisation ou de schématisation, seront envisagés comme autant de moyens de rendre visible l’invisible, de faire advenir une image conceptuelle ou spirituelle. L’enjeu est moins de transposer à la période médiévale la catégorie moderne d’« abstraction » que d’en repenser les conditions de possibilité à la lumière des conceptions médiévales du signe, de la matière et du sens. Doit-on opposer, ou même distinguer la figuration et la narration et les démarches visuelles qui s’en émancipent ? Cette réflexion sur les limites de la mimesis interroge-t-elle aussi l’héritage artistique gréco-romain ?

Les communications proposées devront contribuer à explorer ces questions en s’appuyant sur l’analyse d’œuvres issues des différentes aires culturelles du Moyen Âge, du IVᵉ au XVᵉ siècle. On pourra s’attacher, par exemple, aux tensions entre image et parole révélée, entre forme sensible et contenu théologique, ou encore à la manière dont les représentations et les choix matériels participent d’une expérience de la présence spirituelle. En articulant les dimensions conceptuelles, formelles et techniques de de l’image, cette rencontre souhaite ouvrir une réflexion transversale sur les modes de figuration du non-figurable dans les cultures visuelles médiévales.

Les propositions de communications (3000 signes maximum), accompagnées d’un CV, sont attendues jusqu’au vendredi 27 février 2026, à l’adresse suivante : imago.grim.contact@gmail.com

Une réponse sera donnée à la fin du mois de mars 2026 au plus tard.

Le programme définitif sera diffusé par mail et réseaux sociaux, également disponible sur

le Carnet Hypothèse du GRIM-Imago : https://grimimago.hypotheses.org/ 

le site du CESCM : https://cescm.labo.univ-poitiers.fr/la-formation/grim-imago/

L’accès aux Rencontres du GRIM est largement ouvert : les intervenant.e.s sont prioritairement de jeunes docteur.e.s, étudiant.e.s en doctorat ou en Master 2. Les étudiant.e.s en Licence et en Master sont cordialement invité.e.s à venir assister aux rencontres.

Le GRIM ne disposant d’aucun budget, il sera nécessaire de s’adresser aux centres de recherche de rattachement pour une éventuelle prise en charge des frais.

Le comité scientifique du GRIM-IMAGO

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Réseau des médiévistes belges de langue française
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