Appel à contribution – Des fonctions judiciaires des consuls aux tribunaux consulaires (XIIe-XXe siècle)

Hambourg, 2-3 novembre 2023

La juridiction contentieuse consulaire est une juridiction spéciale, exercée par des représentants consulaires en matière civile et pénale sur leurs compatriotes à l’étranger. Elle soustrait donc des ressortissants expatriés – ou des autochtones « protégés » – à la justice des pays d’accueil. Cette forme de juridiction émerge dans le sillage du développement des consulats d’outre-mer (consules nationum, consules ultra mare, consules missi) dans les villes portuaires médiévales. Elle reste pour l’essentiel cantonnée à l’espace méditerranéen durant le Moyen Âge et l’époque moderne, avant de connaître son apogée au cours du XIXe siècle. À cette époque, elle s’étend à toute une série de pays « semi-colonisés », comme l’Empire ottoman, la Chine, le Japon et le Siam, dans lesquels des tribunaux consulaires européens ou nord-américains rendaient formellement la justice en toute légalité.

Elle est alors utilisée comme la base normative d’une juridiction « para-coloniale[1] ». Les bénéficiaires de ces tribunaux sont à cette époque – avec des différences régionales – surtout les cinq grandes puissances européennes que sont la France, la Grande-Bretagne, la Russie, l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne, mais aussi les États-Unis, des États orientaux comme la Perse et même de petites entités étatiques comme les villes hanséatiques.

Dans le contexte de la décolonisation et de l’émancipation de la tutelle occidentale au cours du XXe siècle, la juridiction consulaire disparaît peu à peu. Aujourd’hui, seules quelques-unes de ses anciennes fonctions ont été conservées dans les législations relatives aux consulats. En dehors des tribunaux consulaires, cependant, les consuls ont aussi exercé des fonctions judiciaires de façon plus diffuse ou plus informelle, dans des contextes historiques et géographiques bien plus larges : arbitrage privé de contentieux, intermédiation vis-à-vis des autorités locales, participation à des tribunaux mixtes. Ainsi ils ont conservé encore de nos jours un rôle dans la protection juridique de leurs ressortissants qui séjournent à l’étranger.

Sur le plan scientifique, ce sont d’abord les contemporains qui se sont intéressés aux fonctions judiciaires des consuls[2]. Le plus important d’entre eux est sans doute Friedrich Martens, auteur, en 1874, d’une thèse sur les consulats et leur juridiction en Orient[3]. La littérature juridique contemporaine des tribunaux consulaires, les méthodes et les analyses qu’elle développe, n’ont désormais plus que valeur de source. Après la disparition de la juridiction consulaire formelle, la recherche sur le fonctionnement de la juridiction a naturellement diminué pour quasiment disparaître pendant plusieurs décennies. Ce n’est que récemment que l’intérêt s’est à nouveau manifesté. Ce sont d’abord les historiens du droit qui se sont saisis du sujet, bientôt rejoints, bien que de manière plus hésitante, par les historiens de l’économie, des migrations et des institutions.

Le pionnier en la matière est Richard T. Chang, qui étudie dès 1984 les tribunaux consulaires dans le Japon du XIXe siècle[4]. Il faut attendre près de deux décennies pour voir un autre historien s’emparer du sujet : en 2005, Maurits van den Boogert examine la façon dont cette juridiction s’intégrait dans le système juridique de l’Empire ottoman. Il contribue ainsi à renouveler en profondeur notre appréhension du phénomène[5]. Quelques années plus tard, Johannes Berchtold s’intéresse à son tour aux tribunaux consulaires britanniques dans l’Empire ottoman[6]. Puis Turan Kayaoğlu publie une étude sur la juridiction extraterritoriale au Japon, en Chine et dans l’Empire Ottoman[7], dans le contexte d’une controverse autour de l’« orientalisme légal », amorcée par la publication du célèbre livre d’Edward Saïd et l’émergence du concept d’orientalisme[8]. Au-delà du cas des tribunaux consulaires, la question des fonctions judiciaires des consuls et de leur exercice face à des États d’accueil soucieux d’affirmer leur souveraineté a également nourri diverses réflexions relatives aux notions d’extraterritorialité et de pluralisme juridique[9]. De leur côté, les historiens du commerce à distance se sont intéressés à une institution dont ils cherchent à mesurer les effets dans la structuration des échanges interculturels ou distants[10].

En dépit de la richesse de ces contributions et de l’acuité de ce sujet dans les débats actuels sur l’exercice de la souveraineté nationale ou sur l’emprise réelle du colonialisme sur les sociétés extra-européennes, de nombreuses questions restent en suspens. Pour certains pays, on ne dispose que de connaissances sporadiques sur l’organisation et le fonctionnement de ces juridictions consulaires, ou encore sur le personnel qui y officiait. La matérialité de cette justice, les instruments de son pouvoir de contrainte et les voies d’exécution qui y sont associées (police, prison, archives), tout comme la qualité juridique du travail des tribunaux et leur cadre dogmatique restent également à déterminer.

Les origines de la juridiction consulaire, qui remontent au moins aux privilèges commerciaux accordés par les empereurs byzantins aux commerçants italiens, ne sont pas encore suffisamment élucidées, de même que les formes qu’ont pu prendre de façon plus diffuse les ingérences consulaires dans les systèmes judiciaires d’États pleinement souverains.

Ce sont ces points d’ombre que notre colloque souhaite éclairer en accordant, dans la lignée des précédentes rencontres organisées par le programme scientifique « La fabrique consulaire »[11], une égale attention à une description empirique précise de l’objet étudié, tout autant qu’à sa mise en perspective des questionnements politiques, économiques et sociaux plus larges au sein desquels il s’inscrit. L’objectif de la manifestation sera de permettre aux historiens du droit d’échanger leurs points de vue avec ceux de l’histoire maritime, de l’histoire du commerce et de l’histoire des relations internationales. Il vise également à établir un dialogue diachronique et comparatif entre des spécialistes des trois contextes historiques ciblés : les périodes médiévale, moderne et contemporaine, marquée chacune par des problématiques qui leur sont propres. Dans ces différentes perspectives, des contributions abordant plus particulièrement les questionnements suivants seront très favorablement accueillies :

  • La diversité des modalités de l’exercice des fonctions judiciaires des consuls, des plus informelles (simple arbitrage, intercession auprès des autorités locales) aux plus formalisées (tribunaux consulaires, mixtes ou capitulaires).
  • Les sources et la matérialité des procédures de la justice consulaire (les textes normatifs, le personnel, les voies d’exécution du droit, l’archivage des décisions et la jurisprudence).
  • Les conflits de souveraineté suscités par l’exercice de la justice consulaire dans les différents contextes historiques envisagés (affirmation de l’État territorial dans l’Europe moderne, expansion coloniale et impériale européenne au xixe siècle).
  • Les liens entre les fonctions judiciaires des consuls et la pratique du commerce à distance.
  • Les différents domaines d’exercice de la juridiction consulaire (commerce et autres types de contentieux civils, justice pénale, questions liées au droit maritime) et les différentes catégories sociales d’usagers de cette justice : marchands, expatriés, protégés, hommes/femmes, personnel naviguant, etc. 

Conditions de soumission

Les propositions de communication (environ 400 mots accompagnés d’un aperçu biographique) peuvent être soumises en allemand, en français, en espagnol ou en anglais. Elles doivent être adressées à l’adresse suivante : jorg.ulbert@univ-ubs.fr

avant le 3 octobre 2022

Le résultat de la sélection sera annoncé courant décembre 2022.

Le colloque se tiendra à Hambourg, les 2 et 3 novembre 2023.

Coordination scientifique

Comité scientifique

  • Marcella Aglietti (Università di Pisa)
  • Arnaud Bartolomei (Université Côte d’Azur, Nice / UPR 1193 – CMMC)
  • Albrecht Cordes (Goethe-Universität Frankfurt am Main)
  • Mathieu Grenet (INU Champollion, Albi / UMR 5136 – Framespa)
  • Maïa Pal (Oxford Brookes University)
  • Cédric Quertier (CNRS / UMR 8589 – LAMOP)
  • Lars Regula (Universität Hamburg)
  • Victor Simon (Université de Lille / UMR 8025 – Centre d’Histoire Judiciaire)
  • Jörg Ulbert (Université Bretagne Sud, Lorient / UMR 9016 – TEMOS)
  • Klaus Weber (Europa Universität Viadrina, Francfort sur l’Oder)

Source : Calenda

A propos RMBLF

Réseau des médiévistes belges de langue française
Cet article a été publié dans Appel à contributions. Ajoutez ce permalien à vos favoris.