Appel à contribution – Fins et ruptures au Moyen Âge

Journées d’étude des doctorants du CIHAM (UMR 5648) 26 et 27 octobre 2023

La fin correspond à un achèvement, la fin d’un état et le jugement de toute chose. Au Moyen Âge, la société se construit autour d’une grande fin programmée, de nature religieuse, dont ce colloque propose de prendre le contre-pied.

L’objectif est d’étudier les fins pour saisir leur place dans l’ensemble des dimensions des mondes médiévaux. En nuançant cet arrêt de toute chose, nous proposons d’intégrer également les ruptures : ces interruptions, ces suspensions du temps et des actions des hommes qui souvent ne sont pas irrémédiables.

Avant tout développement, une réflexion s’impose : cette étude de la fin et des ruptures au Moyen Âge correspond-elle à une réalité de l’époque ? Ces phénomènes sont-ils perceptibles pour les contemporains médiévaux ? « Des nains sur les épaules des géants », cette image attribuée à Bernard de Chartes au XIIe siècle et reprise ensuite au fil des siècles, souligne l’idée d’héritage et de continuation que portent les sociétés médiévales qui ne cessent de s’appuyer sur le passé pour justifier leurs actes et leurs paroles. La fin existe-t-elle au Moyen Âge ? La mort n’est qu’un état transitoire avant la seconde vie qui attend les chrétiens. Les écrits des Anciens sont des preuves intangibles d’un savoir donné que l’on reprend, recopie au sein des scriptoria pour les conserver, les enrichir et les poursuivre1. La perpétuité et la durée ont aussi valeur de preuves et d’arguments dans les conflits, dans un monde réfractaire à la nouveauté. Il est évident que les contemporains médiévaux ont conscience de vivre dans une époque différente, néanmoins les fins et les ruptures étaient-elles perçues comme telles par les sociétés médiévales ou sont-elles le fruit d’une déformation de point de vue par nos structures intellectuelles actuelles ?

Plusieurs axes d’études sont alors possibles et invitent à penser les fins et les ruptures à travers plusieurs disciplines. De manière générale, ces thématiques peuvent être abordées par le prisme de la culture matérielle en interrogeant sur la transmission des techniques et des pratiques (évolution des mécanismes de la vie économique, naissance de l’imprimé, choix des types de documents, renouvellement et maintien des pratiques scripturaires ou codicologiques par exemple). Cette analyse des pratiques documentaires est aussi l’occasion d’observer l’évolution des systèmes linguistiques médiévaux, de remettre en question l’abandon d’une langue au profit d’une autre. Après la forme, le fond peut être étudié, ainsi en littérature médiévale les notions de rupture et de fin transparaissent sous des aspects narratologiques, poétiques et esthétiques.

Enfin, en se plaçant à l’échelle des individus, il est possible de distinguer ceux qui troublent l’ordre social ou politique. Ces hommes et ces femmes qui par leurs actes, leurs choix ou leur inaction modifient temporairement ou définitivement le monde dans lequel ils vivent et les modalités de gouvernance d’un territoire.

Axes

Un temps pour tout : usages et pratiques

La culture matérielle est marquée par ces notions de rupture et de fin. Le domaine de l’écrit est le premier concerné. En effet, tout au long du Moyen Âge, les techniques et les pratiques scripturaires changent, même si dès le XIIe siècle, « la révolution de l’écrit »2 marque un tournant : les supports se substituent, les types d’écriture évoluent (on peut prendre l’exemple du passage de la caroline à la gothique), certains types de documents cessent d’être utilisés comme les polyptyques, les terriers ou encore les compoix3. Cette période voit également le développement des ateliers laïcs et de la pratique de la pecia. En parallèle, le monde religieux change, les réformes monastiques se multiplient et la liturgie évolue. D’importantes évolutions dans les pratiques économiques sont aussi à noter que ce soit la disparition de certaines routes commerciales, le remplacement de certains emporia par d’autres, l’arrêt de production de certaines monnaies4…. Tous ces changements, qu’ils soient de nature scripturaire ou économique, invitent à réfléchir à leurs causes : pourquoi une pratique disparaît- elle ou apparaît-elle à un moment donné ? Reflète-t-elle des changements sociaux plus généraux ? Quand est-on considéré comme dépassé ou inadapté et pourquoi ?

Devenir d’une langue : chronique d’une fin annoncée

Au-delà de la culture matérielle, ces journées d’étude veulent aussi questionner le concept de « mort d’une langue » et les processus qui peuvent la causer. La question se pose, par exemple, pour le passage du latin aux langues vernaculaires. Le Moyen Âge correspond-il vraiment à la fin linguistique du latin à l’oral ? Quel est le moment exact où on a arrêté de le parler5 ? Si on ne peut établir la date exacte de cessation de l’utilisation d’une langue, on peut se pencher sur les changements perçus par les locuteurs et dont les manuscrits et les documents sont les preuves6. La fin d’une langue n’est pas décrétée uniquement par des critères internes. Elle est aussi liée à son histoire externe : sa disparition ou son repositionnement dans le répertoire d’une communauté peut être engendré par l’affirmation d’une variété concurrente ou la restriction de son domaine d’utilisation. Ces dernières peuvent alors affecter son prestige et son utilité pour les parlants7. Considérant le statut de pérenne reconfiguration que toute langue traverse, il est intéressant d’étudier les changements linguistiques sous la perspective bifocale de la longue durée et de la rupture soudaine.

Composer avec la fin : stratégies de contournement

Les notions de fin et de rupture se retrouvent aussi en littérature dans des aspects narratologiques, structurels, poétiques ou encore thématiques8. Si du point de vue narratologique, il est possible de décrire une œuvre en fonction de son début (situation initiale) et de sa fin (situation finale), nous aimerions ici ne pas nous limiter à ces considérations et envisager la fin en termes de seuil9. La fin n’est alors plus seulement le processus de clôture d’un texte, mais aussi la fin d’une section délimitée (fin d’un prologue, fin d’une lettre, fin d’un chapitre …). Comment s’élaborent les ultima verba d’une section ? Ces fins font-elles transition avec ce qui suit ? Sont-elles forcément des ruptures avec ce qui précède ? Divers enjeux se nouent donc aux frontières de ces seuils, autres que conclusifs.

La question de la fin est aussi importante du point de vue de l’œuvre littéraire, car elle est liée aux considérations poétiques (au sens de fabrique du style) au Moyen Âge. En effet, le phénomène de la continuation et celui des cycles concernent un grand pan de la littérature médiévale, notamment la littérature romanesque et épique10. Pensons aux Enfances de Tristan et de Lancelot, à la Mort Artu ou encore au Cycle du roi Charlemagne. L’œuvre médiévale, instable et sujette aux variantes, ne cesse de moduler ses frontières et de réemployer sa matière11. La fin n’est dès lors qu’un (pré-)texte à l’élaboration d’une suite ou au redéploiement de ce qui a conduit au terme du texte. Autrement dit, on pourra s’interroger sur la pertinence même du terme de fin pour certains textes médiévaux. Peut-on parler de fin lorsqu’un texte ne nous est connu que sous la forme de fragments ? Peut-on conclure une œuvre au Moyen Âge ?

Comment vivre après la rupture ?

Là où il n’y a pas de fin, on peut trouver une rupture. Ce bouleversement de l’ordre social découle d’un conflit, d’une guerre, d’une faide chevaleresque ou familiale, rompt un équilibre et engage la reconfiguration des relations des partis engagés12.
Ainsi, nous proposons de réfléchir aux moyens employés pour surmonter ces ruptures et à leur efficacité. Il peut s’agir des voies légales (jugements prononcés par des comtes ou des rois), du recours aux lois « non écrites » (pratique sociale acceptée pour mettre un terme à un conflit), comme de l’intervention d’ecclésiastiques qui imposent pénitence aux combattants13. Néanmoins, toutes les ruptures ne sont pas surmontables et parfois le statu quo ante n’est jamais rétabli comme dans le cas de batailles trop sanglantes, de trahisons trop méprisables… Dans tous les cas, un nouvel état des choses doit être mis en place, mais quels sont les mécanismes qui permettent d’aboutir à ce nouvel équilibre ? Comment est-il accepté, imposé ou contesté par rapport à la situation antérieure ?

Fin de règne, mort du territoire ?

Le thème de la fin et de la rupture peut aussi s’appliquer à un objet : le territoire. Nombre de travaux se sont penchés sur la formation des territoires comme espaces médiévaux (religieux ou laïcs)14, de leur invention, de leur développement, de leur transformation15. Le territoire est souvent assimilé à la dynastie qui gouverne. Son histoire se confond avec les événements familiaux, les mariages, les décès, les successions qui en assurent la perpétuation, la recomposition ou la disparition. Que se passe-t-il lorsque le pouvoir n’est plus, lorsque la lignée s’éteint, lorsque survient un changement dynastique ou la chute d’une autorité politique ? La fin d’un pouvoir signifie-t-elle la fin du territoire ?
Un ensemble de cas donnent à voir des territoires faisant corps avec une famille, un lignage ou une dynastie. La fin de celles-ci conduit alors au partage ou à l’assimilation dans une autre entité. Dans d’autres cas, le changement du pouvoir n’a pas de réelles conséquences sur le territoire dont l’unité est conservée. Pourquoi donc, alors que d’autres sont dépecés ou annexés ? Qu’est-ce qui, dans les cas de maintien, rend possible la continuité du territoire ?

Les travaux du CIHAM concernent en premier lieu les mondes chrétiens et musulmans, mais les propositions portant sur d’autres espaces géographiques seront appréciées. Nous vous invitons à questionner ces ruptures et ces fins, autant que les innovations, les réformes et les renaissances qu’elles induisent. Toutes les études liées à l’histoire, à l’archéologie, à la littérature ou à la linguistique seront étudiées avec le plus grand intérêt.

Les propositions de communication, de 500 mots maximum (résumé et titre de la présentation), accompagnées de renseignements pratiques (statut, situation institutionnelle, domaine de recherche) sont à envoyer au format PDF avant le 15 mai 2023 à l’adresse suivante : cihamjournees@gmail.com

Comité d’organisation : Davide Aruta, Tomasz Dalewski, Laure Domont, Clara Lenne, Nicolas Mazel.
Comité scientifique : Guido Castelnuovo (Avignon Université), Frédéric Duplessis (ENS Lyon), Marie-Pascale Halary (Lyon 2), Marie-Céline Isaïa (Lyon 3), Francesco Montorsi (Lyon 2), Marylène Possamaï-Pérez (Lyon 2).

A propos RMBLF

Réseau des médiévistes belges de langue française
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